mercredi 18 novembre 2020

MAD MOVIES 343

Dans le numéro 343 de MAD MOVIES, paru il y a quelques jours, vous pourrez découvrir le dossier que j'ai consacré à la "TEEN HORROR" à travers dix films emblématiques, classiques avérés ou perles méconnues.



mercredi 9 octobre 2019

THE UNDERTAKER (William James Kennedy, Frank Avianca, Steve Bono, Richard E. Brooks, 1988)

Obscur slasher tourné en plein déclin du sous-genre (huit ans avant que Scream ne le remette au goût du jour), The Undertaker est la dernière production à laquelle participa Joe Spinell, icône du cinéma d'horreur depuis sa mémorable prestation dans le Maniac de William Lustig. Jamais distribué en salles et réputé inachevé, le film circula pendant des années plus ou moins sous le manteau en VHS bootlegs. C'est sans nul doute la présence de Spinell qui lui valut d'être tiré de l'oubli par Code Red en 2010 à l'occasion d'une sortie DVD, puis d'être réédité en 2017 par Vinegar Syndrome dans un combo DVD/Blu-ray offrant le montage original et intégral -- totalement différent de la copie accessible en VHS et reprise par Code Red.
Le comédien y incarne à nouveau un psychopathe, en l'occurrence un croque-mort misanthrope qui élargit sa clientèle en trucidant de jolies demoiselles dont il conserve les dépouilles dans sa cave. Son neveu soupçonne à juste titre l'"oncle Roscoe" de nécrophilie et demande l'aide de sa professeure d’anthropologie, spécialiste du sujet. D'abord incrédule, cette dernière éprouve de sérieuses inquiétudes lorsque le jeune homme se volatilise sans crier gare. Elle se confie à sa colocataire qui l'incite à alerter la police, fort occupée à élucider les disparitions des proies de Roscoe. Mais celui-ci n'est pas homme à laisser quiconque entraver ses activités criminelles.
Tout annonce un produit opportuniste capitalisant sur la popularité durable de Maniac, auquel Spinell avait déjà tenté de donner une suite en 1986. Comme le Frank Zito du film de Lustig, Roscoe est un être asocial dévoré par des obsessions qui altèrent son sens de la réalité. Comme Zito, il adore s'entourer de compagnons imaginaires -- des mannequins dans Maniac, des cadavres ici -- devant lesquels il soliloque . De fait, The Undertaker est clairement un ersatz élaboré à tâtons et "bénéficiant" d'un budget encore plus réduit que celui de son modèle. Effets spéciaux rudimentaires, mise en scène paresseuse (assurée par quatre réalisateurs, et non par le seul Franco de Stefanino, qui n'est qu'un pseudonyme portemanteau), acteurs à peine professionnels : autant d'ingrédients typiques du slasher indépendant de série Z, comme il s'en manufacture encore des dizaines aujourd'hui. Pourtant, la bande s'avère fascinante en raison de son caractère incroyablement morbide, qui ne doit rien à son sujet (glauque, mais platement traité) ni à ses options esthétiques (d'ailleurs inexistantes). Le malaise est tout entier redevable à la personnalité de Spinell et à son interprétation, si l'on peut désigner ainsi ce qui s'apparente plutôt à un "acte de présence" zombiesque, où l'abrutissement éthylique est parfois secoué par des tentatives de cabotinage convulsives mais avortées.
Le cinéma a régulièrement abordé le sujet de la déchéance de vedettes adulées, sous un angle tragique ou horrifique (Boulevard du crépuscule ; Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?), parfois humoristique (Ennemis comme avant ; Où est passée mon idole ?). Le spectacle réel d'un tel délabrement, lorsque nous y sommes confrontés, a un caractère douloureux et pathétique. Le cinéma d'horreur, refuge familier de comédiens à bout de course et de guest stars alcooliques (que l'on songe à Lon Chaney Jr., Cameron Mitchell, Aldo Ray, Dennis Price, etc.), nous y a fréquemment conviés. Le cas de Spinell dans The Undertaker est un peu différent ; les sentiments qu'il nous inspire vont au-delà de la gêne ou de la pitié : ils flirtent avec l'effroi, tant l'état du comédien perturbe et finit par faire corps avec la psychologie -- sommaire mais dérangeante -- de son personnage. Suant et édenté, l’œil vague, le cheveu gras, le ventre distendu, Spinell semble être l'un des pensionnaires du funérarium de Roscoe. Ses gestes sont pesants, sa démarche est mal assurée, sa voix grave se noie dans un débit spongieux où les mots parfois se dérobent ou se figent, jouets d'une mémoire défaillante. C'est un jeu "au radar", qui d'ailleurs n'est même plus un jeu mais un renflouage de vieux réflexes, d'automatismes flottant à la surface d'une présence assoupie. Puis soudain, la conscience du comédien s'ébroue, le souvenir lui revient d'un rictus, d'une œillade, d'un froncement de sourcil qui le propulsèrent naguère au rang des "Rois de l'Horreur" -- un titre dont il s'enorgueillissait. Reprenant du poil de la bête, le cher Joe tente de raviver sa flamboyance fanée ; mais l'effort est trop accablant pour demeurer praticable. La main qui s'empare d'un lourd bibelot pour défoncer le crâne d'une victime s'abat avec mollesse et au ralenti ; le ricanement qui ponctue chaque crime tient du hoquet, et encore ! du hoquet radoté, simulé, trop artificiel pour donner le frisson ; les crises d'angoisse ou d'euphorie sardonique qui firent la fortune de Frank Zito se muent en pantomimes hasardeuses. On note également un curieux efféminement de la gestuelle qui donne au personnage une saveur queer inattendue, mais pas injustifiée. Roscoe est un célibataire vivant avec sa sœur aînée ; Spinell était un homme à femmes avec lesquelles il entretenait des liaisons-éclairs, mais qui vouait un culte à sa vieille mère, dont il aurait fait sa fiancée si elle avait été plus jeune, selon son ami Luke Walter. (1) On ne sait trop si cette follitude inhabituelle chez l'acteur relève d'une décision concertée ou s'il s'agit d'un lapsus imputable à son ébriété -- Richard Lynch raconte qu'il le découvrit ivre mort lors d'une soirée, vêtu d'une robe de sa mère et maquillé "comme une femme peinte par Picasso".
Il peut advenir que, cherchant son texte, Spinell lorgne subrepticement la caméra. Lors d'une séquence ahurissante où Roscoe savoure ses méfaits en sirotant du champagne, le comédien s'empêtre dans ses mouvements et dans la fumée de sa cigarette, écarquille les yeux pour ne pas les cligner et fixe une fois de plus l'objectif d'un regard mi-arrogant, mi-contrit (la prise, qui aurait logiquement dû être refaite, fut conservée, sans doute par économie, et se prolonge sans raison). En une occasion, cependant, le talent de Spinell sourd de l'écran comme un souvenir fané : interrogé par deux policiers, Roscoe détourne leurs soupçons sur son neveu qu'il accuse de nécrophilie ; il le fait en larmoyant, s'affligeant du vice du pauvre garçon dans un élan d'hypocrite affection. Dans les bouffissures du visage qu'il distord à plaisir, on retrouve les vestiges d'une maîtrise perdue, le génie d'un histrion qui savait comme nul autre transmettre à sa physionomie menaçante la fragilité effarouchée d'un enfant incompris. Cette fragilité, dans The Undertaker, est celle d'un artiste jadis accompli qui se découvre prisonnier d'un corps malade et d'un esprit embrumé par les excès de toutes sortes.
Pourtant, comme le déclare le scénariste et (co-)réalisateur William Kennedy (dans un entretien-bonus du Blu-ray édité par Vinegar Syndrome), les défaillances et l'ébriété de Spinell conviennent à Roscoe ; elles s'accordent au délabrement mental du personnage. J'irai jusqu'à dire qu'elles font basculer le film dans une dimension autre, celle de l'inquiétante étrangeté chère à Freud, ce sentiment qui nous étreint quand l'intime nous apparaît étranger, autre absolu, et génère l'angoisse. Cet intime discordant, cet autre qu'incarne Spinell, c'est l'image de la déchéance qui nous guette si nous ne contenons pas nos démons, c'est l'usure et la mort qui nous habitent et qui secrètement nous travaillent. Bien sûr, il se trouvera des moralistes pour condamner la trouble fascination qu'exerce le spectacle d'une telle dégradation. Cette attirance n'a pourtant rien de malsain, ni de dépréciateur envers celui qui la suscite ; elle relève de l'empathie et non de la condamnation.
A l'origine, Roscoe devait être incarné par Richard Lynch, autre spécialiste iconique des emplois de "méchants" et de psychopathes. Retenu par un tournage, il céda la place à son ami Spinell, à ce point motivé par le rôle qu'il prit l'initiative de réaliser une vidéo personnelle en guise d'audition. William Kennedy estime aujourd'hui que, malgré son professionnalisme et son talent, Lynch n'aurait pu insuffler à Roscoe la part de folie qui lui apporta son successeur. Il est difficile de ne pas souscrire à cette opinion. Spinell "fait" littéralement le film ; il transforme une série Z insipide en une œuvre perturbante et insalubre. Pour tout dire, et malgré tous ses défauts, on peut préférer ce film à Maniac, dont la brutalité et l'énergie sont certes excitantes, mais dont la noirceur calibrée et intentionnelle pâlit face à l'aura naturellement lugubre de The Undertaker.

(1) Témoignage de William Lustig dans le documentaire The Joe Spinell Story (David Gregory, 2001).

Smoke gets in your eyes


vendredi 6 septembre 2019

THE PUPPET MONSTER MASSACRE (Dustin Mills, 2011)


Pour un cinéaste amateur œuvrant dans l'horreur à micro-budget, la technique de l'animation offre un avantage non négligeable : elle évite l'emploi de comédiens et les difficultés qu'ils peuvent occasionner. C'est sans doute ce qu'estima Dustin Mills en s'attelant à son premier film, The Puppet Monster Massacre, coup d'envoi d'une œuvre farouchement personnelle et d'une stupéfiante prolixité (vingt-huit titres en neuf ans, courts et longs métrages confondus). Mais cette commodité présente un sérieux revers : l'animation est un art difficile et chronophage, nécessitant des compétences dont Mills n'était pas forcément pourvu. Plutôt que le dessin ou la stop motion, il opta pour des marionnettes à mains évoluant dans des décors numériques. Il conçut le look de toutes les poupées, en confia la confection à sa mère, et réalisa le film en un an, avec l'aide d'un unique assistant, Brandon Salkil, qui prête également sa voix à l'un des personnages.
Le résultat est glorieusement artisanal et sert idéalement les intentions parodiques de Mills, auteur d'un scénario truffé d'hommages à différentes déclinaisons du fantastique et de l'horreur. La teen horror, l'épouvante gothique, le creature feature dans la lignée des séries B des années 1950 sont passés à la moulinette d'un humour absurde autant qu'irrévérencieux, et agrémentés d'un soupçon de nazisploitation et d'érotisme "muppetesque", reflétant le goût du cinéaste pour les "mauvais genres".
L'intrigue suit un schéma classique : cinq adolescents reçoivent une invitation à se rendre au château de l'inquiétant Wolfgang Wagner. Celui ou celle qui parviendra à y passer la nuit touchera une récompense d'un million de dollars -- on reconnaît là un hommage à La Nuit de tous les mystères (William Castle, 1959), d'ailleurs cité par l'un des personnages. Le péril consiste en un monstre vorace engendré par Wagner, qui s'avère être un ancien nazi ayant jadis créé une armée de zombies pour Hitler. Le savant fou n'a pas choisi ses hôtes au hasard : ils sont les descendants de soldats alliés ayant détruit le fruit de ses travaux et tué sa femme. Comme il se doit, chaque teenager correspond à un stéréotype : Charlie est un garçon plein de bonnes intentions mais un peu benêt, Gwen est sa fiancée obligeante, Raimi est un nerd incurable fan de cinéma d'horreur, et un couple de punks en chaleur joue les trublions forts en gueule.
Mills caractérise habilement chacun d'eux et parvient à les rendre aussi attachants, sinon davantage, que les protagonistes en chair et en os de la plupart des slashers. Leurs réactions ingénues à des situations clichéiques sont rafraichissantes et génèrent l'essentiel du comique du film. Un comique qui n'est pas toujours d'une grande finesse (les gags scatologiques abondent), mais qui atteint généralement son but. Difficile de ne pas rire de la couardise de Raimi, tétanisé de peur devant les objets les plus anodins -- un rocher, une porte, un lapin. La gentillesse de Charlie, qui souhaite empocher le million pour rouvrir le magasin familial, n'a d'égal que sa naïveté, source de savoureux moments. Angoissé par la perspective de coucher avec Gwen (en ce sens, il est l'antithèse des héros traditionnels du slasher), il panique lorsque Wagner annonce qu'ils partageront la même chambre. Sa crainte du sexe est lourdement brocardée par son grand-père, toujours vert et vaillant. Cet ancien GI au tempérament bouillonnant est une autre figure marquante du film ; il viendra au secours des adolescents à la tête d'une armée lors d'un finale apocalyptique où les tanks affrontent la créature devenue colossale, dans un déluge de flammes et de sang.


Toutes ces mésaventures, même les plus atroces, gardent un caractère bon enfant dont témoigne le flashback sur le passé nazi de Wagner, qui tourne au cartoon musical gore. On retrouve cette humeur folâtre dans la plupart des productions ultérieures de Mills. Les plus sombres d'entre elles, comme Applecart (2015), jouent souvent du contraste entre la noirceur du propos et la tonalité enjouée de la narration, suscitant un malaise plus probant que celui quêté par certains apôtres du trash straight. Pour autant, Mills ne cessera d'affirmer par la suite un nihilisme foncier. On le perçoit ici dans la façon dont la nature aimable et l'obligeance de Charlie sont en quelque sorte châtiés par les événements. La malchance le poursuit, il ne tire aucun profit du courage dont il se croit d'ailleurs dépourvu, et il perd sa fiancée dans l'aventure. Dans une séquence amèrement hilarante, il se recueille sur la tombe de ses parents et leur demande de lui adresser un signe s'ils pensent qu'il doit refuser l'invitation de Wagner. La foudre s'abat alors sur un arbre derrière lui. Croyant peut-être à une coïncidence, il ne tiendra pas compte de l'avertissement. Ce mélange de pathétisme, de fatalisme et de dérision résume parfaitement l'esprit du cinéaste.